lundi 9 août 2010

L’investisseur face à son cerveau

Plusieurs lecteurs m’ont demandé un tutoriel. Je n’aime pas trop ce genre d’exercice car il n’y a pas de recette miracle qui fonctionne pour tous les investisseurs.

Cependant j’ai récemment lu les livres de James Montier et de Phil Rosenzweig qui peuvent à mon avis aider les personnes qui souhaite organiser leur processus d’investissement pour augmenter leurs chances de succès.

L’investisseur est exposé à quelques pièges de son esprit qu’il est important de connaître

L’investisseur est régulièrement trompé par les réflexes de notre mode de pensée et par ses sentiments. Heureusement plusieurs auteurs ont mis en lumière ses pièges et nous proposent des solutions pour les éviter.

Phil Rosenzweig est l’auteur du livre The Halo Effect and the eight other business delusions that deceive managers.
Cet excellent livre est avant tout destiné aux managers mais peut avoir une grande utilité pour les investisseurs. Globalement Phil Rosenzweig nous apprend que nous sommes sujets à plusieurs biais psychologiques :

Le premier est le fameux effet de Halo : il s’agit de notre tendance à juger d’une entreprise ou d’un manager ex post en fonction de la performance de cette entreprise ou de ce manager.

En se focalisant sur la performance comme seul critère de jugement de la qualité, nous sommes détournés de ce qui compte vraiment : le processus et les décisions qui ont permis d’atteindre cette performance.

Un bon exemple d'effet Halo est présent dans cet article de Motley Fool : 5 stocks for retirees to get rich. L'auteur justifie son choix de ces 5 actions sur la base de leur performance boursière des cinq dernières années. Pourtant les variations de cours du passé ne sont pas un bon présage des variations de cours à l'avenir.

Phil Rosenzweig conseille donc de mesurer la performance et son évolution sur le long terme pour s’assurer au moins que cette performance est durable. Une performance durable sera plus probablement le signe d’une certaine qualité. C’est en fait assez proche de ce que préconise Benjamin Graham.

La seconde illusion provient de notre tendance à confondre corrélation et causalité. L’être humain en général est rassuré par les belles histoires, celles qui font paraître chaque action, chaque évènement comme le produit d’un processus clair, précis et cohérent.

De même nous sommes piégés par l’illusion « d’un travail de recherche rigoureux ». Une belle analyse boursière, bien construite et apparemment exhaustive paraîtra généralement comme plus crédible à nos yeux qu’un simple ratio. Pourtant si vous regardez une société comme BAIDU (le Google Chinois), vous aurez beau avoir la plus exhaustive des analyses du monde, cela ne changera pas le fait qu’actuellement la société se vend à un ratio Capitalisation/ chiffre d’affaires supérieur à 20x. Et historiquement la probabilité de sous-performer le marché avec un ratio semblable est élevée.

Je suis moi-même souvent piégé par ces deux illusions, j’essaye de donner un sens aux actions des entreprises que j’analyse, j’essaye de ne pas laisser de zones d’ombres (pour ceux qui m’ont déjà lu, je crois que mes analyses à rallonge sont bien le témoignage de ce biais). Cela peut conduire l’investisseur à une fausse sensation de sécurité.

Une dernière illusion qu’il me semble important de connaître : l’illusion du succès éternel. Généralement il existe une corrélation importante entre l’historique de performance récent d’une entreprise et les prévisions sur sa performance future.
Selon James Montier, auteur de Value Investing, cette illusion s’exprime particulièrement chez les investisseurs qui utilisent des méthodes de valorisations nécessitant de faire des prévisions comme la méthode DCF. Cela provient de notre biais pour l’optimisme, nous avons tendance à être plus optimistes que pessimistes. Ce trait de caractère est un héritage de notre évolution.

Pour ma part j’ai souvent utilisé la méthode DCF et il est certain que j’ai été sujet à cette illusion. J’ai récemment délaissé progressivement cette méthode au profit des ratios, plus intuitifs.

Back to Basics

Phil Rosenzweig nous rappel que le succès n’est jamais assuré, tant pour les managers que pour les investisseurs. Il conseille aux managers de toujours garder en tête que l’incertitude ne peut jamais être abolie complètement. Il est donc primordial de l’intégrer dans la planification d’une stratégie claire et la détermination d’un plan d’action précis pour exécuter efficacement cette stratégie.

L’investisseur a pour objectif la maximisation de son retour sur investissement à long terme.

De nombreuses études ont montré qu’à long terme le principal conducteur de la performance boursière est le prix payé. Une stratégie qui consiste à acheter des actions faiblement valorisées par le marché a donc de bonnes chances d’être gagnante à long terme.

Comment exécuter cette stratégie ? Puisque les méthodes faisant appel à la prévision sont biaisées, nous devons nous en remettre à des mesures plus simples : les ratios.

Les ratios recommandés par James Montier sont le PER 10 ans (ou Graham & Dodd PE) et l’actif courant net.
Selon Graham un ratio de 13 ou moins pour le PER 10 ans est signe d’une entreprise pas trop chère.
D’autres préfèrent rapporter leur prix d’achat aux capitaux propres, ou au dividende.
Pour ma part je garde ma préférence pour les Free Cash Flows mais je n’ai pas de problème à utiliser les autres indicateurs évoqués.

Je ne préconise aucun de ces ratios en particuliers, à vous de voir lequel est le plus « confortable ».

Il existe des screeners gratuits qui peuvent nous aider dans ce travail même si leur fiabilité n'est pas exemplaire. J'utilise régulièrement celui du Financial Times qui est le seul que je connaisse à couvrir l'ensemble des marchés mondiaux. C'est un bon point de départ.

La plus grande des illusions

Nous avons (presque) tous tendance à penser que nous sommes meilleurs pour sélectionner des investissements que des modèles purement mécaniques (comme par exemple acheter les titres qui cotent sous 0,7x leur valeur d’actif courant net de toute dette). Ce qui est généralement faux.

Je suis malheureusement aussi sujet à cette illusion (encore une fois mes analyses à rallonge parlent pour d'elles mêmes). C’est déprimant de penser que des « robots » pourraient faire mieux que nous mais c’est la triste vérité.

C’est parce que nous sommes incapables de prédire ce qu’il adviendra d’une entreprise qu’il est important d’acheter des entreprises quand leur valorisation boursière est faible en comparaison de leur valeur intrinsèque.

Le cours de bourse n’est que le reflet des attentes des investisseurs, un faible prix est donc le reflet de l’attente de mauvais résultats. Au cas où les résultats sont mauvais, le cours de bourse sera faiblement impacté car les résultats seront conformes aux prévisions du marché. Si au contraire les résultats sont meilleurs que prévus, le potentiel de hausse est d'autant plus élevé que le "point de départ" est bas.

C'est le concept bien connu de marge de sécurité. Cette marge permet de limiter la casse dans le cas (probable) où nos prévisions ne se réalisent pas.

5 commentaires:

  1. Bonjour Ben,

    Avant tout Merçi pour le lien qui permet d'avoir une base d'étude de départ.
    Depuis le temps que j'en cherchai un qui screene les valeurs françaises, je suis comblé la.
    Je trouve ton article très intéressant.
    Je suis tout a fait d'accord avec toi sur l'importance du prix payé.
    Généralement c'est souvent celui-ci qui augure de la performance future sous réserve bien sur que la société soit viable économiquement.

    Sinon j'aurais deux petites questions à te poser.
    J'ai acheté récemment Comment lire les comptes de société un livre d'analyse fi de Phillipe Poux.A la page 189, il définit le cash flow libre comme le flux de trésorerie d'exploitation - ( achats d'actifs immobilisé et vente d'actifs immobilisés).
    Ça ma tickté parce que dans un article c'est le calcul que tu conseilles de faire pour les débutants.
    Je me posais la question donc de savoir si ce calcul n'était pas trop simpliste?

    Autre question qui est un peu hors cadre qui est ton avis sur Gordon et shapiro cad le calcul de la valeur intrinsèque d'une action en se basant sur le dividende.
    Je trouve l'approche intéressante parce que selon moi le dividende est la seul et véritable richesse de l'actionnaire.
    La méthode a l'air très contesté et j'aurais aimé avoir ton avis la dessus sur sa pertinence.

    Merçi et continue de nous régaler avec tes articles toujours magnifiquement rédigés...
    Bien le Bonsoir

    Cordialement,

    Sofian

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  2. Bonjour Sofian,

    concernant le calcul du Cash flow libre :

    la formule de calcul pronée par Philippe Poux est tout à fait correcte. Simplement elle n'est pas très adaptée à la prévision car elle agrège certaines composantes (par exemple les flux de trésorerie opérationnels comprennent le résultat opérationnel, l'impôt et la variation du besoin en fonds de roulement + d'autres éléments comme la rémunération en actions...).

    Comme tu as pu le lire dans l'article ci-dessus, je délaisse presque totalement les méthodes impliquant des prévisions désormais.

    Sur la formule de Gordon et Shapiro:
    je ne suis pas non plus un grand fan de cette formule car elle ne permet pas de valoriser l'entreprise sur son vrai potentiel de résultat.

    Un exemple :
    Considère que nous avons deux sociétés A et B complètement identiques et qui réalisent toutes les deux un résultat net de 100 €.
    La seule différence entre ces deux entreprises est que A a un ratio de distrbution de 90 % alors que B a un ratio de distribution de 20 %.

    Si les deux entreprises sont identiques, le taux d'actualisation utilisé sera logiquement le même, prenons 10 %.

    Avec ce taux, A sera valorisée 90/10%=900 €
    alors que B ne vaudra que 20/10%=200€.

    Le résultat est absurde, puisque pour deux sociétés identiques (sauf pour leur taux de distribution), tu trouves des valeurs très nettement différentes.

    De plus cette formule ne permet pas de valoriser toutes les entreprises puisque toutes celles qui ne redistribuent pas leurs profits valent 0€ en théorie.

    Bonne journée.

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  3. Bel article Ben.
    Estimer le présent et non le futur et acheter bas me semblent de très bon préceptes.
    Estimer le futur est en effet beaucoup plus compliqué (recherche de barrière à l'entrée pérennes, etc) et à part Buffett et quelques autres, peu de gens font ca bien.

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  4. Bonjour Ben,

    Je sais pas si tu as lu le livre Investir dans la valeur.
    Les auteurs aborde la VCB qui est une excellente alternative à l'approche DCF.
    J'aimerais savoir ce que tu en penses.
    Les daubasses l'utilisent souvent dans leurs analyses.

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  5. Bonjour,

    je viens de commander le livre justement, je le lirai dans les prochaines semaines.

    La VCB est en fait très proche de la méthode DCF puisqu'elle utilise les flux de trésorerie. La seule différence est que la VCB utilise les flux passés alors que la DCF requiert d'établir des prévisions.

    La VCB me paraît donc être une méthode tout à fait intéressante et prudente.

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