jeudi 10 décembre 2009

Sur le taux d'actualisation et le taux de croissance à l'infini

Vous aurez sans doute remarqué que j’ai une méthode un peu particulière pour déterminer le taux d’actualisation que j’utilise pour mes évaluations.

Avant de vous expliquer pourquoi j’utilise cette méthode, il faut que je vous explique la méthode couramment utilisée par les professionnels.

Déjà, qu’est ce qu’un taux d’actualisation ?

C’est un taux qui permet de connaître la valeur actuelle d’une somme d’argent à recevoir ou à payer à une date future. Vous voulez un exemple peut être…

John veut investir dans une maison à 200000€ dans 10 ans, il sait qu’il peut placer cet argent à 7,2% par an. Nous avons la somme d’argent future et notre taux d’actualisation, 7,2%, et grâce à ce taux nous pouvons calculer quelle somme John doit placer aujourd’hui pour obtenir les 200 000€ nécessaires à son achat dans 10 ans.

200000*(1+0,072^ (-10))=99788.88€

Grâce au taux d’actualisation, John sait que la valeur actuelle des 200 000€ est 99788,88€.
Le taux d’actualisation se retrouve en faisant la racine 10ème de 200000/99788,88.

Ce taux est indispensable à toute évaluation par méthode DCF car avec cette méthode nous prévoyions des flux de trésorerie qui seront disponible dans le futur, qui par conséquent n’ont pas la même valeur que s’ils étaient disponibles immédiatement. (Si on vous propose 100€ dans 10 ans ou 100€ aujourd’hui, vous préférerez toujours 100€ aujourd’hui).

Selon le MEDAF (Modèle d’Evaluation Des Actifs Financiers) qui est utilisé par tous les professionnels, le taux d’actualisation est équivalent au coût du capital de l’entreprise.

Ce taux se compose de deux éléments : le coût de la dette et le coût des capitaux propres.

Le coût moyen de la dette doit être calculé après impôt. Toute bonne entreprise le mentionne dans son rapport annuel. Il suffit ensuite de le multiplier par 1 – le taux d’imposition de la firme.

Le coût des capitaux propres est un peu plus compliqué, voici sa formule :

Kp=Rf + β (Rm-Rf)

Avec Kp = Coût des capitaux propres
Rf = le taux sans risque qui correspond au taux des obligations d’Etat, en général à 10 ans. Si vous évaluez une entreprise française, prenez le taux des OAT 10 ans, si c’est une entreprise américaine le taux des 10y bond…
β est le coefficient qui reflète la volatilité d’un titre rapportée à celle de son indice ou marché de référence. C’est une mesure du risque, plus le Beta est élevé, plus le risque est élevé et plus le coût des capitaux propres augmentent.
Rm-Rf correspond à la prime de risque du marché par rapport aux obligations d’Etat. Clairement elle se mesure par la différence de la rentabilité à long terme du marché minorée du taux sans risque.

Toutes ces données sont relativement simples à obtenir sur internet.

Le coût du capital s’obtient ensuite en pondérant le coût de la dette avec la proportion de dettes et le coût des capitaux propres avec la proportion de capitaux propres dans la structure financière de l’entreprise.
Proportion de dette = Dettes financières/ Capitaux propres + dettes financières.
Proportion de Capitaux propres = capitaux propres / Capitaux propres + dettes financières.

Alors pourquoi je n’utilise pas le MEDAF ?

D’une part, cette méthode tant à donner une prime aux entreprises les plus endettées. Le coût de la dette est significativement inférieur au coût des capitaux propres en général. Par conséquent, les entreprises les plus endettées ont un coût du capital inférieur et une valeur actuelle plus importante à flux de trésorerie égaux.

Un exemple :

Considérons deux entreprises A et B parfaitement semblables qui dégageront 10000€ de flux de trésorerie dans un an. A n’est pas endettée et son coût du capital est donc égal à son coût des capitaux propres soit 10%. B est endettée son coût du capital est de 7%.

Valeur actuelle de A du flux de A = 10000/1,1 soit 9090,9€.
Valeur actuelle du flux de B = 10000/1,07 = 9345,8€.

Evidemment les dettes de B doivent être soustraites de cette valeur mais je trouve stupide d’accorder une prime à une entreprise parce qu’elle est endettée si ces deux entreprises sont semblables par ailleurs.

Ensuite, les variables utilisées pour calculer le coût des capitaux propres sont mal définies.
Sur quelle période se baser pour calculer la rentabilité moyenne du marché ? (qui sert au calcul de la prime de marché) Quel marché ou indice de référence utiliser ? CAC 40 ? SBF 250 ? Euronext 100 ? DJ Eurostoxx 600 ?...

Vient le β ! Le Beta est très variable suivant les volatilités d’un titre et du marché dans son ensemble. Il est très variable dans le temps, mais aussi très sensible à la durée de la période que vous prenez pour le calculer (en général 3 mois).

Prenons K-Tron International. Son Beta, fourni par Reuters, est de 1,52. (1,64 pour Yahoo Finance)
Ca signifie que quand le marché gagne ou perd un 1%, K-Tron en moyenne gagne ou perd 1,52%. C’est un Beta élevé, K-Tron est donc jugé risqué.

En comparaison, le petit concurrent anglais de K Tron, Clyde process plc, a un beta selon Reuters de 0,8.

Le beta occulte totalement le risque afférent à l’entreprise.

Si on a un peu de bon sens, on voit rapidement que Clyde process est plus risqué que K-Tron. D’une part l’entreprise anglaise est moins diversifiée, tant en terme géographique que dans les produits fabriqués. Ensuite elle est endettée, son ratio dette/ capitaux propres est de 71% selon Reuters, contre moins de 15% pour K-Tron. Sa marge opérationnelle est également moitié moindre… Bref, la comparaison est sans appel, K-Tron semble objectivement moins risqué que son petit concurrent, mais le beta ne nous le dit pas.

Enfin, en utilisant le MEDAF on peut trouver des valeurs pour le coût du capital qui sont à mes yeux dangereuses. Le gros problème avec la méthode DCF c’est qu’une grande partie de la valeur calculée (en général 50% à 10 ans) provient de la valeur terminale des flux de trésorerie de la dernière année. Sur mon scénario 3 pour K-Tron, cette part monte même à 70% environ de la valeur d'entreprise.

D’où l’obligation d’être prudent à la fois dans la détermination de ces flux de trésorerie en prenant soin de vérifier qu’il s’agit d’une valeur soutenable à long terme par l’entreprise.

Mais aussi de ne pas avoir un taux d’actualisation trop faible pour éviter les leviers trop importants et les valeurs farfelues.

Reprenons nos deux entreprises A et B. Imaginons que nous réalisons leur évaluation et que nous trouvons pour chacune des deux entreprises une valeur de flux de trésorerie de 10 000€ la dernière année. Le taux de croissance à l’infini des deux entreprises est de 2%.

Pour calculer leur valeur terminale, nous devons diviser 10000€ par le taux d’actualisation diminué du taux de croissance à long terme :
Soit :
Valeur terminale de A = 10000/(10%-2%)=125000€
Valeur terminale de B = 10000/(7%-2%) = 200000€

Comme vous le voyiez, un taux différent de quelques pourcents et l’estimation de la valeur varie dramatiquement alors que les entreprises sont semblables par ailleurs. Alors imaginez que votre estimation du flux de trésorerie final s’avère surévaluée, l’erreur est démultipliée par le levier du taux d’actualisation.

Voilà pourquoi je préfère déterminer mon coût du capital en prenant pour base 12%, qui est un taux relativement prudent pour une entreprise dont les performances sont correctes et l’endettement contenu (ratio dettes/capitaux propres <1).>Concernant le taux de croissance à l’infini :
Il ne faut jamais prendre un taux supérieur à 3%. Il doit se déterminer en fonction des perspectives de la société, de son marché et de sa présence géographique.

Voilà pour ce vaste sujet que j’ai couvert rapidement. Je vous propose de consulter la Lettres aux actionnaires de décembre 2009 d’Amiral Gestion. C’est une démonstration plus brillante que la mienne de l’inefficience des marchés et du MEDAF (en plus ils ont des graphiques…). Vous la trouverez ici

Pour infos : l’analyse de Manutan International avance bien. Plusieurs concurrents de Manutan sont cotés, j’ai donc des informations plus complètes sur la concurrence et je suis en mesure d’identifier assez clairement les différents business models en présence. Je tacherai cependant d’être le plus synthétique possible.
L’analyse ne sera pas publiée avant la fin du mois, Manutan devant publier ses résultats annuels le 16 décembre.

ERATUM du 30/04/2010 : suite au commentaire d'un lecteur, je m'aperçois que je n'ai pas traité du coût de la dette en détail.

Son calcul est heureusement beaucoup plus simple que celui du coût du capital puisque le coût de la dette est en fait le taux d'intérêt que l'entreprise paye à ses banquiers (exactement comme un particulier). Pour avoir une estimation correcte du coût de la dette, il suffit simplement de diviser les intérêts financiers payés par l'entreprise par sa dette financière.
Si la valeur apparaît fantaisiste sur l'année en cours, faites la même opération pour les années précédentes pour avoir une évaluation plus réaliste du taux d'intérêt.

Une fois que vous avez votre coût du capital et le coût de la dette, il suffit de les pondérer en fonction de la structure financière de l'entreprise.
Pour avoir les parts de capitaux et de dette dans l'entreprise il faut faire les calculs suivants :

Part du capital = capitaux propres/ (capitaux propres + dette financière)
Part de la dette = dette financière/ (capitaux propres + dettes financière)

La formule du taux d'actualisation selon le MEDAF est la suivante :
(Coût du capital*part du capital) + (coût de la dette*part de la dette).

2 commentaires:

  1. Je mets votre blog en Favoris,BEAU TRAVAIL!!!

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  2. si je peux me permettre, le coût de la dette doit refléter le taux auquel l'entreprise peut emprunter actuellement et non pas sur la base d'un taux antérieur. Si on prend un exemple, la dernière dette contractée par une entreprise remonte à N-4 à un taux de 6%, le taux d'intérêt reflète une rémunération du risque supporté par la banque , ce dernier ne sera pas le même en N.

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